Le vénérable magazine L’Express souffle cette année sa soixantième bougie, court moment de célébration dans un temps où il semble que l’invisible main du marché ait résolu de lentement pousser son fauteuil vers l’hospice.
Au premier trimestre, la baisse [des ventes au numéro de L’Express] est […] de 8 %
Les recettes publicitaires ne se portent pas mieux. A L’Express, sans donner de chiffres, on reconnaît que « mars et avril ont été difficiles » (Le Monde)
Voilà donc deux bonnes raisons de lancer une nouvelle formule, matérialisée par l’Express n°3228 du 15 au 21 mai 2013. Potion salvatrice ou palliatrice ?
La nouvelle formule de l’Express est, pour employer le jargon de la profession, bimédia. Écoutons le rédacteur en chef du magazine, Christophe Barbier, la présenter.
Plutôt que d’analyser son analyse, je me suis rendu au kiosque près de nos nouveaux bureaux pour acheter le magazine papier et vous donner mon avis. Autant le dire, c’est plutôt bon. Je l’ai lu avec intérêt, et même avec un certain plaisir.
Il y a en gros trois parties. La première commence par une sorte de double introduction : un dessin de Plantu et l’édito de Christophe Barbier. Elle continue par un entretien de deux pages avec une personnalité, en l’occurrence l’homologue de Christophe Barbier au magazine The Economist. Après une chronique, survient une petite vingtaine de pages chapitrées Les Exclusifs, Les Indiscrets, Les Découvertes, Les Immédias et Les Peopleries. Pas de panique ! Ces noms fantaisistes abritent les catégories habituelles, bien labélisées du reste : Politique, Monde, Économie, Société, Culture, Science, Médias et, nouveauté, People !
La deuxième partie du magazine traite en longueur de sujets divers : « Les hypocrites », parlant des politiques, « L’attentat oublié », parlant du terroriste Carlos, « La révolte des esclaves [au Mali] », etc. C’est à mon avis le coeur de la nouvelle formule de L’Express. Elle s’inspire des mooks, en particulier du plus populaire d’entre eux : XXI. Un traitement approfondi d’un sujet, fût-il inactuel.
Le magazine se conclut par des articles culturels (livres…) mais avec en sus une nouvelle rubrique : L’Express Folies. Deux ou trois articles décalés qui enlèvent l’ensemble : « J’invente donc j’essuie » sur le concours Lépine, « Voix de faussaires », sur la simulation vocale et instrumentale qui gangrène les concerts de musique et même… une « Ode à Jonny [Wilkinson] », pièce rimée par le barde Barbier…
En annexe, pour ainsi dire, les increvables rubriques consommation, emploi et petites annonces. Le tout est bien sûr entrelardé de publicité.
Quant au prolongement numérique du magazine papier, il faut télécharger sur son smartphone une application ad hoc. Vous ne serez pas pour autant au bout de vos peines : comme rien ne signale les articles qui ont un complément numérique, il faut promener son smartphone de page en page jusqu’à ce qu’un « bip » retentisse… et vous affiche une vidéo de Christophe Barbier présentant la nouvelle formule de L’Express…
Je disais au début que le produit est plutôt bon et que les articles se lisent avec intérêt et plaisir. Il laisse aussi un sentiment d’insatisfaction, d’inachevé. On ne sent pas, comme dans XXI, la puissance, le tranchant et la nécessité d’un concept appliqué rigoureusement. C’est un magazine de compromis où l’audace, le remaquillage et le traditionnel se mêlent.
Dans une interview, le rédacteur en chef Christophe Barbier semble se féliciter qu’il se vende aujourd’hui autant de magazines papier qu’il y a dix ans.
Mais quand il faut déjà déployer d’incroyables efforts pour simplement ne pas couler dans un temps où d’autres médias connaissent des croissance « déferlantes » (The Huffington Post, BuzzFeed, Tumblr…), comment cette approche de compromis peut-elle suffire ?
We should be building great things that don’t exist. (Larry Page)
Il faut prendre ce risque. XXI l’a fait.